J’ai rédigé cet article en m’appuyant sur mes observations (et donc mes biais, voir page d’accueil - j’écris à travers mes biais) et sur l’interview des personnes qui m’ont accueillie en woofing. Lorsque je reprendrais leurs termes, ils seront notifiés "entre guillemets".
J’ai réalisé l’interview de Juliette et Aurélie séparément.
Dans cet article vous découvrirez Aurélie, passeure de nature et Juliette, sorcière, ainsi que leur histoire : une rencontre à travers les plantes.
J’ai passé 3 semaines dans leur monde magique des plantes, à travers lequel j’ai pu découvrir leur relation aux vivant.e.s : une relation qui les touche au plus profond d'elles-mêmes.
Entre optimisme et pessimisme, vous pourrez découvrir leur vision de la société occidentale dans son rapport au vivant : une relation complètement déconnectée qui chosifie les êtres vivant.e.s. Relation difficile à concevoir pour elles. Elles préfèrent observer et participer aux initiatives locales pour garder espoir.
Aurélie et Juliette aimeraient une société plus dans le respect et dans laquelle chaque personne puisse trouver sa place et découvrir ce qui la fait vibrer.
Un grand merci à Aurélie et Juliette pour leur douceur, leurs histoires sincères et pour avoir facilité ma rencontre avec les plantes.
Et merci à toustes les êtres vivant.e.s d'Ô jardin des Kamis pour leur super accueil.
Qui sont Aurélie et Juliette ?

Aurélie
Aurélie est "un petit bout de femme coincé entre les herbes, les plantes, les arbres et qui s’amuse avec tout ça."
Elle est Passeure de nature et facilite des ateliers nature divers et variés : bains de forêt, ateliers cueillette et cuisine de plantes sauvages, ateliers de reconnaissance des plantes sauvages etc.
Elle est la créatrice de Ô jardin des Kamis.
Mais qu’est-ce qu’une passeure de nature ?
"Aujourd’hui je me définis comme ça. Ce n’est pas forcément l’idée de base, c’est au cours de mon cheminement que tout ça est arrivé.
Je suis allée explorer le monde de l’éducation à l’environnement et je l’ai trouvé très intellectuel. Ma vision, en tout cas mon ressenti par rapport ça, c’est que l’on cherche toujours à emmener les gens dehors et à leur faire changer de point de vue, les éveiller, leur ouvrir les yeux sur quelque chose, mais en leur expliquant toujours comment ça marche : qui est qui, quel est le nom des animaux, leurs modes de vie, de quoi ils ont besoin, qu’est-ce qu’ils mangent etc.
Tout ça est très bien, mais pour moi il manquait quelque chose pour avoir un vrai impact.
J’avais vraiment la sensation qu’il fallait s’adresser à beaucoup plus de sensorialité, à l’émotionnel des personnes pour que ça les impacts vraiment et qu’il y ait quelque chose de très charnel ou de très organique qui se passe. Pour qu’ils vivent quelque chose à l’intérieur de leurs corps, et pas seulement dans la tête, pour qu'ils s’en souviennent. Je trouvais ça vachement plus impactant.
D’où l’idée de passeure de nature. C’est faire passer un petit bout de la nature. Juste passer un petit bout de sa beauté. Parce que la nature elle n’a pas besoin d’être animée, il n’y a pas besoin d’une animatrice nature, on a pas besoin non plus d’éduquer les gens à la nature. Le positionnement est complètement différent."
Juliette
Juliette est "une femme sorcière qui vit avec les plantes, qui les cultive et les transforme, pour essayer de partager leur magie au quotidien avec qui voudra bien les découvrir et pour essayer d’apporter un peu de mieux-être à ces gens-là, tout en s'apportant du mieux-être."
Juliette est une sorcière qui cultive des plantes aromatiques et médicinales et les transforme en objets magiques pour le bien-être des gens : tisanes, sirops, bougies, battons de fumigation etc.
Elle est la créatrice des Simples Sacrés.
Mais qu’est-ce qu’une sorcière ?
"[Le terme sorcière] fait référence à des pratiques anciennes de femmes que l’on appelait les sorcières et qui utilisaient la magies des plantes pour soigner. L’idée avec ce mot c’était de reprendre cette tradition-là.
Je ne sais pas, c’est ce mot qui m’est venu et avec lequel je me sens à l’aise.
Je me sens vraiment sorcière avec mes plantes, à faire mes mixtures dans les bols, essayer de trouver le bon mariage entre les plantes etc.
Ce qui me parle aussi c’est de faire des rituels les soirs de pleines lunes, avec les pierres. Tout un tas de choses qui sont des objets magiques et qui vont avec tout l’apparat de la sorcière.
Il y a aussi le côté connexion au féminin, qui m’a servi à me révéler en tant qu’entrepreneuse. C’est le travail sur le féminin sacré qui m’a permis de sortir de ma coquille et de faire ce que je fais aujourd’hui. Être sorcière c’est ça aussi pour moi : savoir mettre en valeur son féminin et l’extérioriser de la plus belle façon qui nous, nous représente. C'est réussir à faire sortir son pouvoir, et quelque soit le pouvoir.
Pour moi ça s’est révélé être encore plus connoté sorcière via les plantes."
Qu'est-ce que le jardin des Kamis et les Simples Sacrés ?
Aurélie vient du monde de la chimie. Lorsqu’elle était jeune, elle se voyait "avec une blouse blanche en train de fabriquer des nouveaux médicaments pour que les gens aillent mieux."
Elle a donc fait des études d’ingénieure chimiste et a continué en doctorat pour faire de la recherche.
Quand elle est rentrée dans le monde du travail, elle s’est rendue compte que cela ne correspondait pas à ses attentes de jeunesse.
Aurélie : "J’ai travaillé d’abord dans le secteur public, en recherche et développement, puis je suis passée dans le privé, en espérant y trouver des relations plus inter-humaines et plus de dynamisme.
Sauf qu’en laboratoire ça manquait encore un peu d’interactions humaines. Donc je me suis dit : «on va aller voir dans les bureaux, on doit travailler un petit peu plus ensemble.»
Je me suis retrouvée dans les bureaux en tant que cheffe de projet en développement du médicament.
J’étais dans les réunions décisionnaires, et là j’ai vu les coulisses des coulisses, l’envers du décors. J’étais très mal à l’aise avec les valeurs qui guidaient nos choix, à travers lesquels on prenait des décisions. Ce n’était pas du tout les valeurs dans lesquelles j’avais construit mes idées, mes idéaux et mes rêves.
Il y avait une proéminence du financier, de la masse. C’était vraiment toutes ces valeurs-là qui étaient véhiculées. J’étais très mal à l’aise avec celles-ci, je ne m’y retrouvais pas du tout.
J’ai d’abord essayé de changer d’entreprise en me disant que, peut-être, c’était juste pas la bonne place.
Je me très vite je me suis vite aperçue que ça ne changerait rien du tout et que c’était à peu près partout pareil dans ce domaine."
C’est à cette période-là qu’elle a commencé à réfléchir à ce mettre à son compte et que son activité professionnelle a pris un tournant.
Aurélie : "J’ai commencé à envisager à être indépendante, puis je me suis dit «mais finalement, si tu te mets à ton compte, est-ce que tu es vraiment obligée de faire ce que tu fais déjà depuis une dizaine d’année ? Ou est-ce que tu en profiterais pas pour faire autre chose, vu que tu es à ton compte et que tu peux faire ce que tu veux ?»
Et de cette idée là je me suis dit : «bon ok, juste pour jouer, repartons d’une page blanche et imaginons que tu recommences à zéro, qu’est-ce que tu fais ?» Alors quand on a 35 ans, avec 3 enfants, une famille, une maison tout ça, il faut quand même réussir à faire abstraction de tout ça.
Ce qui m’est apparu était assez clair et ce qui est venu tout de suite, c’est qu’il fallait que je passe énormément de temps dehors. Les pieds dans l’herbe, les mains dans la terre, complètement connectée à la terre, au végétal, aux plantes, aux arbres, tout ce qui est le monde végétal. C’était ce qui me faisait du bien à cette époque-là, c’était le seul truc qui permettait de compenser vraiment et de me réparer un petit peu.
Je me suis donc dit qu’il faudrait que ça fasse partie intégrante de mon quotidien, en grosse dose.
J’ai continué d’imaginer : je suis dehors dans mon jardin, qu’est-ce que je fais ? C’est quoi mon activité ? Comment je gagne ma vie ? C’est quoi mon interaction avec les autres ? Pourquoi je fais ça ?
Je savais que je ne voulais pas du tout faire de la production : cultiver des plantes, des légumes ou des arbres. Ça ne résonnait pas du tout.
Et puis un jour, en lavant les vitres (c’est quand même très important), je me suis dit : mais en faite j’aime le contact avec les gens et transmettre.
Et du coup ça germé l’idée d’un jardin pédagogique.
Un petit peu calqué sur le schéma de la ferme pédagogique où l'on cultive le lien entre l’Homme et l’animal, les petites chèvres, les animaux de la basse-cour.
Je voulais faire la même chose mais sous format jardin, en cultivant le lien entre l’Homme et tout le monde végétal qu’il y a autour de nous et, éventuellement, les petites bêtes qui sont complètement liées à cet habitat-là.
Après ça, on [la famille d’Aurélie] a bien réfléchi à comment on pouvait faire pour transitionner et pour construire un projet qui nous permet de prendre plus de temps en famille et qui respecte aussi nos besoins."
Cela fait donc 8 ans que la famille d’Aurélie s’est installée sur cette ancienne ferme.
Ô jardin des Kamis est un jardin pédagogique, où elle y propose différents ateliers de reconnaissance des plantes sauvages. A travers ces ateliers de rencontre des plantes, Aurélie veut (re)connecter les personnes à leur sensibilité pour les sensibiliser aux vivant.e.s qui les entoure.
Activités que vous pouvez retrouver sur son site internet.
Pourquoi Ô jardin des Kamis ?
Aurélie : "Kamis, shin to, dans la vision traditionnelle japonaise, c’est les petits esprits de la nature. Une vision un petit peu animiste, où chaque chose est vivante, chaque chose est animée. Que ça soit le souffle, chaque petit brin d’herbe, les petites bêtes, l’eau, la pierre qui est là.
Il y a un petit être vivant au sein de chaque chose.
C’est un petit clin d’œil pour rendre toutes choses vivantes tout autour de nous, et donc changer de point de vue quand on la regarde, voir autre chose qu’un objet."
Les Simples Sacrés
Juliette avait un travail de bureau, elle était graphiste mais ne se retrouvait plus dans cette activité.
Juliette : "Je suis arrivée à saturation de ce mode de vie, enfermée dans un bureau à travailler pour quelqu’un. J’avais besoin de travailler pour moi et être dehors dans la nature. J’avais cet appel de la nature, sans vraiment expliquer pourquoi, mais là j’en avais vraiment besoin. Je sentais que je n’étais plus du tout à ma place dans le monde salarié, ça ne me parlait plus.
Puis j’ai réfléchi à ce que je pouvais faire dans la nature, et les plantes sont arrivées naturellement à ma rencontre.
D’abord à travers la cosmétique, où je me suis interrogée sur l’utilisation des produits et ce qu’il y avait dans les produits cultivés. J’ai découvert que ce qu’il y avait dedans n’était pas cool. J’ai donc cherché à trouver des produits naturels et j’ai commencé à fabriquer des produits moi-même.
Puis je me suis intéressée aux huiles essentielles, qui sont faites à base de plantes. J’ai donc fait des recherches sur les plantes et sur ce que je pouvais faire d’autre avec. Et j’ai découvert un monde très, très, très vaste : le monde des plantes.
C’est arrivé comme ça et je me suis dit : « waouh c’est fou tout ce qu’on m’a caché ». Parce que j’en avais aucune idée. Je n’avais jamais consommé de tisanes par exemple, c’était vraiment un monde inconnu pour moi et j’ai trouvé ça merveilleux.
Et là je me suis dit que, si moi je ne connaissais pas ce monde, plein d’autres gens doivent être comme moi et ne le connaissent pas.
J’ai eu envie d’en apprendre plus, puis de transmettre ça et d’en parler aux gens qui ne sont pas au courant que ça existe.
Donc voilà pourquoi les plantes : envie de transmettre, envie d’apprendre et de fabriquer moi-même. Ça m’est venu tout de suite de vouloir faire l’apprentie sorcière, faire mes propres potions."
Jeune, Juliette avait déjà cette "fibre de sorcière", sans vraiment savoir d’où elle venait. Elle s’intéressait à l’astrologie, avait des livres de sorcières. Elle a retrouvé cet aspect lorsqu’elle a découvert les plantes.
Puis elle s’est lancée dans la création de son entreprise dans laquelle elle veut transmettre cet amour des plantes à travers ses valeurs.
Juliette : "Je me suis formée à la culture des plantes, puis j’ai appris par moi-même plein d’autres choses sur ce que pouvaient apporter les plantes : les bienfaits au niveau médicinale mais surtout énergétique.
Et ce que j’ai voulu créer à travers mon entreprise, ce sont des produits où on va à la rencontre des plantes. Je veux amener les gens à se rencontrer via les plantes, qu’elles soient un canal pour se comprendre, apprendre à mieux se connaître et à se faire du bien à travers ces produits-là. Quand on rencontre une plante, qu’est-ce que ça peut m’apporter ?"
Juliette crée différents objets avec les plantes aromatiques et médicinales qu’elle cultive pour faire découvrir leurs vertus et apporter du bien-être aux gens.
Elle s’inspire aussi des cycles lunaires dans sa création d’objet pour accompagner les femmes qui cherchent à développer leur féminin sacré.
Ce sont des créations françaises artisanales qui sont réalisées dans le respect du vivant et de son rythme.
Vous pourrez trouver tous les détails de ses produits, ses valeurs ainsi que son blog sur son site internet.
Pourquoi les Simples Sacrés ?
Juliette : "Les simples se sont les plantes médicinales. C’est le nom qu’on leur donnait au Moyen Âge.
Les simples c’était l’inverse des « complexes », les médicaments de synthèses qui commençaient à être créés par les médecins au début de la chimie.
Donc ces plantes s’appelaient « simples » parce que c’était naturel et que ça restait simple, il n’y avait pas de transformations.
Ce terme existe encore aujourd’hui, mais il est surtout utilisé par les gens qui sont dans le milieu des plantes. Ce n’est pas très connu à l’extérieur encore.
Donc ça c’était l’explication pour le terme « simples ». Et « sacrés » c’est ce qu’elles représentent pour moi, c’est l’importance que je leur donne. Elles sont vraiment sacrées pour moi, elles m’apportent tellement que je voulais leur donner une autre dimension, et la plus grande dimension que j’ai trouvé et qui sonnait bien, c’est sacré."
Quand deux histoires de plantes se rencontrent
Il était une fois l’histoire d’une sorcière, Juliette, qui transformait les plantes médicinales qu’elle achetait en objets magiques. Au fur et à mesure qu’elle s’installait dans son activité, elle voulut faire plus : cultiver elle-même les plantes aromatiques et médicinales et les transformer. Elle voulait faire tout du début jusqu’à la fin, tout en restant dans ses valeurs.
Mais pour cela, il lui fallait un terrain où cultiver les plantes.
Pendant ce temps-là, Aurélie et sa famille arrive en 2015 sur une ancienne ferme d'élevage pour la transformer en jardin pédagogique.
Aurélie s’est formée et à pris ses marques au jardin, enchaînant différents tests au potager mandala.
Plus le temps passait, plus cela devenait compliqué pour elle de s’occuper seule de 2,5 hectares. Surtout que, ce qui la fait vraiment vibrer, c’est la transmission et l’animation d’atelier.
Mais il fallait quand même s’occuper de ce lieu pour accueillir les personnes dans un endroit adéquat, qui peuvent leur parler et surtout qu’elle a quand même pour objectif de rendre ce lieu nourricier.
Une charge de travail beaucoup trop grande pour une seule personne.
Elle s’est donc dit que cela pouvait être bien d’accueillir sur ce terrain une autre personne. Elle ne savait pas trop quel profil pouvait rejoindre l’aventure. Ce qu’elle savait, c’est qu’elle ne voulait pas embarquer quelqu’un.e et lui demander de faire la même chose qu’elle, parce que pour elle, la liberté de chacun.e est hyper importante pour qu’iel puisse exprimer ses dons.
C’est au cours d’un marché bien-être, à La Réole, que ces deux histoires de plantes se rencontrent.
Il y avait une vingtaine d’exposant.e.s dont Juliette et Aurélie qui présentaient leurs activités.
C’étaient un jour pluvieux, il n’y avait pas grand monde et les exposant.e.s n’avaient donc rien d’autre à faire que de discuter entre elle et eux.
Juliette : "Je disais à tout le monde qui pouvait l’entendre : « je cherche un terrain dans le coin, je viens de m’installer, je veux faire pousser des plantes » et puis elle, elle cherchait quelqu’un pour utiliser son terrain dont elle n’arrivait pas à s’occuper toute seule tellement il était grand. Elle cherchait quelqu’un avec qui ça pouvait matcher dans son activité et les plantes étant notre point commun. C’est arrivé assez facilement et logiquement, intuitivement, ça a été facile. C’était hyper fluide, ça c'est fait tout naturellement. Donc une belle rencontre magique."
Aurélie : "Elle vendait déjà ses créations avec les plantes qu’elle achetait : tisanes, bougies, des choses comme ça. Sur son stand elle avait mis un grimoire de sorcière, elle avait tout un univers un peu sorcière, un peu développé autour de ça. Et, je ne sais pas ça m’a appelé. On a passé un bon moment à discuter ensemble et puis ça c’est fait très très vite. Deux ou trois mois après elle posait sa grelinette au jardin en 2019."
Une complémentarité dans leurs activités
Sur ce lieu Juliette et Aurélie ont trois objectifs :
Jardin nourricier
Le gros fil rouge, leur fil conducteur, est que ce lieu soit un espace nourricier pour les personnes vivant sur le lieu ou pour celles qui sont de passage, tout en gardant un équilibre entre les espèces sauvages et leur intervention sur le lieu.
Lorsqu’on arrive
ce le lieu on peut en effet découvrir différents espaces. Un espace
d’accueil, le potager mandala et l’espace de culture des plantes
de Juliette. C'est dans ces espaces qu'elles sont le plus interventionnistes. Plus on
descend sur le terrain plus les êtres vivant.e.s sauvages prennent
leur place. Elles entretiennent juste les sentiers pour pouvoir passer et faire visiter le lieu aux personnes extérieurs et les
amener à la rencontre des plantes.
Jardin pédagogique
Le deuxième objectif est de faire de ce lieu un endroit de transmission de savoirs, de savoir-faire et de savoir-être autour des plantes.
Objectif incarné au
début par Aurélie qui a été rejointe par Juliette.
Juliette : "La première année où je suis arrivée on s’est découverte. Moi j’ai découvert le terrain et les gens ici. Puis au bout d’un an, ça se passait super bien, on a eu envie d’aller un peu plus loin et de faire des choses ensemble pour que ça soit plus enrichissant, plus efficace, qu’il y ait plus de dynamisme et d’interactions.
C’est venu tout naturellement je ne sais plus exactement comment, mais je crois que ça a commencé à travers le woofing. Prendre des gens pour nous aider sur le lieu, parce que même à deux ça reste un lieu assez grand, et faire de la transmission en même temps. Ça nous paraissait être un chouette projet que l’on pouvait faire via nos deux activités, soit en gardant nos deux activités séparées soit en les mélangeant en prenant les gens en woofing.
Et puis pour le reste ça a dû se faire en même temps. Aurélie savait que je faisais des rituels, que j’aimais ça, que j’avais participé à ce genre de choses et que je trouvais ça cool.
Elle m’a proposé de faire quelque chose ensemble : elle les plantes sauvages, leurs utilisations et moi le côté magique, rituel, célébration des énergies de la lune des plantes et ça a commencé à se mettre comme ça en place petit à petit.
La transmission via
des ateliers n’était pas forcément là au départ. Avec la
proposition d’Aurélie je me suis dit, qu’en faite en parler c’est
encore mieux. Ça me nourrissait encore plus de pouvoir transmettre
directement d’en parler, plutôt que de vendre un produit où
derrière je n’avais pas forcément de retour. En atelier on a
vraiment tout de suite un retour avec les personnes qui sont là, ce qui
est beaucoup plus nourrissant et enrichissant pour moi. J’ai
l’impression d’être encore plus utile et d’aider les autres à
faire un petit pas."
Plantes aromatiques et médicinales
Le troisième
objectif est rempli par Juliette, qui concerne la culture de plantes
aromatiques et médicinales sur le lieu, grâce à laquelle elle peut
réaliser et vendre ses produits.
Difficultés
Pour Juliette, tout "a été super fluide" pour la création de son entreprise.
Que ce soit dans sa mise en place, sa formation ou son installation sur le lieu, tout s’est bien passé.
Juliette : "Je rencontrais les bonnes personnes au bon moment et tout était super fluide et puis ça s’est bien développé."
Aujourd’hui, la difficulté qu’elle rencontre est principalement économique.
Juliette : "C’est la conjoncture économique qui fait que ça devient compliqué. C’est le côté financier qui questionne beaucoup sur ce qu’on fait et comment on le fait pour arriver à en vivre tout en restant dans nos valeurs.
Donc gros questionnement sur ça, mais c’est assez récent parce que jusque là ça allait dans le bon sens et j’étais très optimiste sur le développement de l’activité. Je faisais de plus en plus ce que j’aimais et je fais toujours ce que j’aime mais c’est plus dur, parce que les gens répondent moins : on vend moins, on accueille moins de gens.
Je ne remets absolument pas en question mon activité, mais je réfléchis à comment faire pour que ça me rapporte un peu plus d’argent, en gardant une façon de faire qui me correspond toujours, sans me compromettre, être toujours dans le bon équilibre.
Parce que, si j’ai choisi de changer de vie, ce n’est pas pour travailler autant qu’avant. Je cherche toujours à travailler dans un équilibre vie pro et vie perso."
Concernant Aurélie, elle a découvert différentes difficultés en devenant entrepreneuse.
Aurélie : "J’avais même pas conscience que c’était ça être entrepreneuse. C’est en travaillant un petit peu, en discutant avec pas mal de monde, en me formant, que je me suis vraiment rendue compte de ce que c’était être entrepreneur et développer quelque chose qui n’existe pas vraiment, essayer d’avoir un concept.
C’est quasiment un chemin de vie, un chemin de rencontre avec soi-même en faite. Parce qu’il se passe toujours plein de choses et on est toujours mis face à soi-même finalement. Et ça ne peut fonctionner que si on est accordé et aligné avec soi. Ça demande de se remettre en question constamment, de savoir faire des choix et d’être à l’écoute de tout ce qu’il se passe.
Du coup j’aurais tendance à dire qu’il y a plein de difficultés. Elles évoluent avec le temps et quand on en a résolu une, il y en a une autre qui arrive.
C’est en ça que c’est hyper enrichissant d’un point de vue humain et même juste pour soi, pour se connaître et comprendre comment on fonctionne, notre rapport à l’autre tout ça.
Autre difficulté que j'ai eu à titre personnel, ça a été quelque part d'ouvrir au monde ce qu’il y a à l’intérieur de moi.
Ça a été un peu comme un déchirement, un accouchement douloureux. C’était compliqué pour moi, c’était comme si je me mettais complètement à nue en montrant cette sensibilité, en allant l’expliquer aux autres, en essayant de prendre les gens avec moi et c’était très très dur d’exprimer tout ça.
C’était très très dur aussi d’associer ça à une activité économique.
Avant je gérais des projets où il y avait des dizaines de zéro. Mais ce n’était pas compliqué parce que c’était en dehors de moi, tandis que là c’est moi complètement, donc c’est très compliqué d'assumer et de valoriser ça de manière financière.
Ça va beaucoup mieux maintenant."
Aujourd'hui elle rencontre différents types de difficultés.
Aurélie : "La première est de faire un choix."
En effet, elle a tendance à se "noyer dans plein de bénévolat, d'opportunités, de participer à des projets et collectifs qui émergent, tous aussi chouette les uns que les autres."
Ce qui peut parfois l'empêcher de prendre du temps pour elle et ce n'est pas ce qu'elle recherchait en changeant d'activité. Elle a conscience qu'il faut qu'elle travaille sur cet aspect pour se "positionner tranquillement en se donnant un cadre."
En effet, ce sont des "défis personnels" pour elle de pouvoir garder un équilibre entre l'énergie qu'elle met dans le projet et l'énergie dont elle a besoin pour elle.
Aurélie : "Au bout de 8 ans ça commence à être une épreuve de fond, où il faut savoir gérer son énergie, au fil des saisons, au fil des années, pour garder toujours suffisamment de punch pour continuer d’avancer et avoir la gnac. Donc c’est ça le défi : savoir prendre soin de soi, se préserver pour avoir la gnac d’y aller quand c’est le moment. Encore et encore et encore. Ce n’est pas que ça ne fonctionne jamais, mais il faut toujours toujours relancer la machine parce que si non l'activité s’arrête."
De ce que j'ai pu observer (et ça de façon général), s'inscrire dans un territoire avec une activité alternative n'est pas le plus évident et demande beaucoup d'énergie. En effet, Aurélie et Juliette ont dû présenter leurs projets, faire des portes ouvertes, pour montrer que ce qu'elles font car des personnes pouvaient être méfiantes concernant leurs activités et/ou modes de vie.
Et leur rapport aux vivant.e.s ?
Êtres vivant.e.s ?
Toutes les deux m’ont dit qu’il était compliqué de donner une définition d’un.e être vivant.e.
Pour Aurélie tout est vivant.
En ce
qui concerne Juliette ça serait « un être qui interagit avec
son environnement et les autres êtres vivants, les choses autour de
nous d’une façon ou d’une autre."
Non-vivant.e.s ?
Concernant les non-vivant.e.s, elles s’accordent sur le fait que, ce qui peut faire exception, serait ce qui est matériel.
Mais il reste un certain questionnement car elles pensent qu’il y a une énergie propre à chaque objet.
Aurélie : "Pour moi c’est plutôt les objets fabriqués par l’être humain de manière industrielle qui sont non-vivants. Parce qu'une œuvre artistique, même artisanale, faite avec beaucoup d’amour vibre d’une certaine manière."
Juliette : "Le matériel serait non-vivant. Après il y a de l’énergie dans pas mal de choses donc ça va être difficile de limiter et à partir du moment où il y a de l’énergétique, il y a une interaction."
Et la nature ?
Aurélie : "Pour donner une définition de la nature c’est vrai que c’est compliqué.
Je resterais un peu dans la même veine. C’est tout ce qu’il y a autour de nous, même à l’intérieur de nous en faite, ce qui est organique.
C’est ce qui nous héberge, c’est ce qui nous traverse avec le souffle, c’est ce qui nous supporte dans ce monde."
Juliette : "Il y a plein de choses dedans, il est utilisé pour tout et n’importe quoi, c’est le mot fourre-tout. C’est difficile de le définir.
C’est tout ce qui pousse sur Terre et qui fait partie de la Terre sans l’intervention de l’Homme. Tout ce qui est là naturellement. Qui était là avant nous. Même les arbres qu’on plante c’est de la nature mais on les a un peu transformé.
Il y a des interactions humaines partout mais pour moi la nature c’est les milieux sauvages, la vie sauvage tout ce qui va être plus proche de ce qui était avant que l’on intervienne : les arbres, les rivières, les champs naturels, les prairies etc."
Un rapport qui les touche au plus profond d’elles-mêmes
Le rapport qu’elles ont au vivant est une relation qui les traverse jusque dans leurs cellules.
Aurélie : "Ma relation au vivant d’une façon générale c’est ce qui me fait vibrer, c’est ce qui m’anime. Il se passe des choses organique entre moi et tout ça. Ça me reconnecte à mon corps."
Juliette : "Ma transition de vie a beaucoup transformé mon rapport au vivant. J’avais un espèce de mur autour de moi qui me coupait de l’extérieur, des gens, de la vie autour de moi.
Maintenant, j’ai une relation très très forte, avec beaucoup plus d’interactions avec tout ce qui m’entoure qui est vivant que ce soit végétal, animal, humain.
C’est plus dur à vivre car ça m’atteint beaucoup plus, je suis plus sensible qu’avant. Mais, en même temps, c’est plus fort et plus riche. J’ai l’impression de vivre beaucoup plus avec ce qui m’entoure qu’avant."
Cette relation "organique" qui vient du cœur, de leur sensibilité, elles la développent notamment à travers leurs activités.
Aurélie : "Que ça soit une petite activité, un groupe qui vient faire un bain de forêt ou un atelier cueillette, le jeu c’est de sentir ce qui se passe à un moment donné dans notre imagination. C’est de réussir à percevoir et sentir ce qui se passe entre tout ce monde-là : entre les gens et le milieu dans lequel ils sont à ce moment là. Comment ça résonne. Comment moi je le ressens et j'essaie de leur en faire prendre conscience, de les amener à le sentir et à sentir qu’ils le sentent. Mettre le doigt dessus pour qu’ils en aient conscience. Pour que ça s’imprime vraiment consciemment.
C’est un peu un grand objectif idéal, leur mettre en lumière cet aspect-là et les amener à ressentir ça.
Mon objectif c’est que, par ricocher, ça soit imprimé dans leurs cellules. Qu’ils aient vécu quelque chose et qu’ils s’en souviennent dans leur corps pour que ça réveille quelque chose et que ça leur fasse un petit déclic. Que ça leur fasse changer un micro truc, mais quelque chose."
Juliette : "J’essaie un maximum de respecter l’ordre naturel des choses, de le déranger le moins possible et de faire plus avec ce qui est là : dans la façon dont je cultive les plantes, en me respectant moi dans mon rythme, en respectant le rythme des plantes au maximum, le sol dans lequel elles poussent, des choses qui sont là, en faisant attention à tout ce qui se développe là avec ce que moi je fais. Donc ça c’est pour la culture.
Ensuite tout ce qui est la transformation, j’essaie de faire avec mon cœur et dans l’objectif que ça serve à quelque chose, que ça ait une utilité, tout en respectant mes valeurs. J'essaie de trouver un compromis entre l’utilité, le fait que ça plaise, que ça me corresponde et que ça soit respectueux.
Ensuite dans la transmission c’est pareil. J’essaie toujours dans ce que je fais d’être dans mes valeurs, de m’écouter le plus possible et de faire ce qui me fais vibrer et pas ce qui pas forcément le plus attendu.
Après il y a plein de choses qui rentre en compte mais globalement c’est ça."
Le jardin des Kamis : une famille, une partie d’elles-mêmes
Je les ai également interrogées sur la relation qu'elles entretiennent avec le lieu.
Aurélie m’a décrit un lien fort et fusionnel avec le lieu sur lequel s’est installé sa famille.
Aurélie : "C’est marrant parce que c’est un lien qui se construit sans que tu t’en aperçoives. En tout cas, je ne m’en étais pas forcément aperçu, mais ça vient à faire partie de toi.
Je pense que c’est dû en partie à toute l’attention que j’ai mise à essayer de faire émerger ce qui pousse sur le lieu.
Et maintenant, quand on touche à quelque chose ça me touche moi, mais directement. Même quand c’est consciemment voulu. Par exemple, Juliette a construit sa tiny house, et on doit l’amener à l’autre bout du terrain. On a fait le choix de passer à l’intérieur du terrain et il a fallu en terrasser un petit bout pour pouvoir passer avec le tracteur et la tiny au milieu des champs.
Pour le chemin on a été obligé de faire venir une pelleteuse , pour terrasser un petit peu. Pour lui faciliter le passage, on a dû couper une partie de haie d’Osier vivant. Cet Osier, on l’avait planté et on le tresse depuis des années. Je l’ai coupé proprement, l’Osier ça repousse vite donc pas de problèmes tout était ok.
Et puis le tracteur a mis un peu plus de temps à venir, donc l'Osier avait commencer à repousser quand il est arrivé et là il a tout arraché. Il a fait ce qui était prévu, tout c’est bien passé c’était très correct. Mais moi c’est comme si on m’avait labouré de l’intérieur.
J’étais dans un état. Je savais que ça ne serait pas facile mais je n’avais pas imaginer que ça serait aussi dur émotionnellement de voir ça.
C’est assez impressionnant, je le savais il n’y a pas de souci en plus c’est pour un projet positif qui va nous faire avancer. Je sais que ça va repousser et ça sera l’occasion de ré-aménager un petit coin, mais ça a été super dur."
Juliette m'a raconté sa rencontre avec le lieu qu'elle a rencontré en même temps qu'Aurélie et sa famille. Aujourd’hui elle lui voue une entière reconnaissance car, sans lui, elle ne serait pas là aujourd’hui et ne pourrait pas réaliser son activité.
Juliette : "Ce lieu me porte. Il a permis que je développe mon activité et tout ça de façon fluide. L’agriculture n’est pas simple évidemment il y a des problématiques mais, finalement, ça me va, je fais avec ces problématiques-là. Elles sont normales. Ça pourrait être plus facile mais moi ça me va bien.
C’est un endroit qui est ultra ressourçant pour moi. J’y trouve toujours l’énergie dont j’ai besoin quand ça ne va pas. C’est un lien super fort qui fait partie de moi.
Il va devenir ma maison en plus, alors que si j’ai construit une tiny house, c’est pour qu’elle soit mobile. J’ai beaucoup déménagé dans ma vie et j'ai toujours senti ce besoin de mouvement, d’être toujours appelée ailleurs, avec un besoin de changement. C’est quelque chose qui me définit pas mal le besoin de changement.
Et aujourd’hui ça fait à peu près un an et demi que j’attends de vivre ici et je ne me vois pas partir ailleurs, tellement pas. Enfin on ne sait pas de quoi est fait demain mais aujourd’hui j’attends de pouvoir y vivre.
Donc ce lieu ça fait vraiment partie de moi, c’est mon ancrage, mes racines. Et c’est aussi grâce aux êtres vivants qui y sont : les humains, les animaux. Tous ont fait que je m’y suis attachée et qu’ils sont devenus pour moi ma famille."
Leur rapport aux autres animaux qu'humain.e.s
Quand on a abordé ce sujet Aurélie a de suite pensée aux autres animaux qu'humains qui vivent également sur le lieu.
Aurélie : "Honnêtement je pense que je m’en occupe pas assez. J’en suis désolé pour eux. On essaie de faire très attention, mais j’en profite pour m’excuser platement car je pense que je m’en occupe pas assez. Mais, pour moi, ils font partie intégrante du système. On a essayé de leur trouver une place parce qu’il y avait plein d’avantages pour tout le monde à ce qu’ils soient là. Et aussi parce qu’on avait envie d’en profiter, de les admirer tous les jours. Ils rapportent une autre touche encore, ils viennent mettre leur contribution en plus sur le lieu et au milieu de toute cette végétation. Ils ont une place importante qui mériterait d’être encore plus mise en valeur."
On y retrouve les brebis : Stella et Comète, les chattes : Kiki et Framboise, ainsi que les poules et le coq (je ne sais pas si iels ont un prénom).
Les animaux autres qu'humain.e.s Ô jardin des Kamis ont l'air heureux.euses. Peut-être qu'Aurélie voudrait leur accorder plus d'attention, mais iels ont toujours de l'eau, de la nourriture et beaucoup d'espace à leur disposition et quand elle va les voir elle discute toujours un peu avec elleux.
Quand à Juliette, elle a abordé la façon dont ce rapport a évolué et comment elle l'incarne aujourd'hui pour être en accord avec elle même.
Juliette : "J’ai des affinités avec certains animaux, notamment les chats avec qui j’aime beaucoup avoir des échanges.
J’ai toujours eu des animaux près de moi : des chats, des chiens, des cochons d'indes, des lapins, des animaux domestiques on va dire. Je n’ai pas non plus développé de grandes passions pour eux, mais il y en a toujours eu.
Concernant la vie sauvage, je la trouve hyper intéressante, passionnante et belle.
Aujourd’hui, j’ai arrêté de manger des animaux pour contribuer à essayer de respecter ces espèces qui ne le sont pas suffisamment. J’essaie de faire ma part sur ça parce que ça me paraît accessible et j’avais envie de faire quelque chose pour les aider dans le bon sens et respecter plus ces êtres vivants-là.
C’est important pour moi, ça me permet d’être plus en phase avec tout ce que je fais et tout ce que je transmets. Ce sont mes valeurs."
Toutes petites au milieu du vivant
Toutes les deux ont le même sentiment face à l'ensemble du vivant : être toute petite face à cette immensité. Mais elles ont abordé deux aspects différents dans leur positionnement : des humain.e.s qui détruisent et d'autres qui font partie de la construction d'un écosystème.
Juliette : "Je me sens toute petite et mal adaptée à mon environnement et je crois qu’on est tous très mal adapté à notre environnement dans notre vie d’être humain.
Je me sens humble aussi.
Et en même temps je sais que je suis trop humaine encore et pas assez à l’écoute des animaux.
Je me sens petite et en même temps je fais partie de ce tout puissant qui les détruit, qui détruit ça donc je me sens coupable aussi de ça donc c’est compliqué. Mes sentiments sont ambivalents et difficiles à gérer quand je me poses vraiment la question. C’est contradictoire."
Aurélie : "Je me sens comme pas grand-chose en faite. Sur le lieu on a un grand objectif : c’est que ça soit un endroit nourricier et donc pouvoir produire une bonne partie des fruits et des légumes, ce qui amène à modeler tout le système pour répondre à ton besoin d’être humain. C’est quelque chose qui prend de la place dans tous nos choix et dans notre positionnement.
Donc il y a un aspect modelage, mais l'autre objectif en parallèle, c’est de laisser le plus de place possible à toute la nature sauvage, à la terre mère qui, justement, nous soutient et sans qui tout cela ne serait plus possible, on ne pourrait même pas vivre.
Donc j'essaie de trouver un équilibre entre tout ça, c’est presque comme un chef d’orchestre. Tu coupes un petit bout là pour laisser un peu plus de place à une plante qui va pousser et te donner à manger, mais tu laisses quand même l’autre pousser à côté. Tu vas mettre ton petit grains de sel ici, tu vas rajouter un petit truc là, mais toi tu ne fais pas grand-chose de plus, le reste c’est la nature qui le fait.
Je me positionne comme ça. Je suis entre les deux je me promène, j’essaie de regarder ce qu'il se passe de sentir et d’essayer de voir si ça serait cool d’avoir un arbre de plus là ou là.
Pour quoi, pour qui, dans quel objectif. Que ça soit harmonieux, que ça soit beau, qu’on ait un peu à manger, qu'il y ait des fleurs, que les animaux qui vont boire à la marre passent ailleurs et pas ici, parce que si non ils vont nous manger un truc, mais faire en sorte qu'ils puissent toujours boire à la marre. Tu fais des petites touches et après tu fais confiance et tu fais avec ce qui arrive."
Un rapport qui a évolué mais une sensibilité qui a toujours été présente
Toutes deux ont un rapport au vivant qui a changé au fil des années. Il n’y a pas eu un déclic en particulier. Le rapport qu’elles ont aujourd’hui s’est construit progressivement.
Juliette : "J’ai été de plus en plus sensible au vivant qui m’entourait. Je l’ai donc respecté de plus en plus. Je pense que j’ai eu besoin de faire mon chemin avec mes propres expériences. Ça peut être assez long mais c’est comme ça que je fonctionne. Par exemple, pour devenir végétarienne, je n’aurais pas pu du jour au lendemain."
Aurélie : "C’est un truc qui a beaucoup évolué. Est-ce que j’avais ce rapport-là et je n'en avais pas conscience ? Est-ce que j’ai contribué à le construire et à le nourrir ? Honnêtement je ne sais pas trop. Peut être un peu des deux, peut être un peu de tout ça. »
Finalement, elles ont eu toutes deux un besoin de retour à la nature, avec laquelle elles étaient déjà en contact étant enfants.
Juliette : "Je vivais dans une maison avec un jardin où il y avait quand même un peu de nature.
Dès l’âge de 7ans, mes grands-parents m’amenaient souvent en vacances dans les Pyrénées faire des randonnées, donc j’ai été beaucoup dans la montagne et à la plage aussi.
J’ai toujours aimé bouger, découvrir la nature à travers la France et ailleurs. Aller découvrir de nouveaux paysages naturels. Ça m’a toujours beaucoup intéressée.
Pour finalement me dire qu'ici c’est bien et que, même si je dois me limiter à vol de mes pieds, c’est bien parce que c’est beau et il y a de la beauté vraiment pas loin. Tout est riche, il n’y a pas besoin d’aller très très loin."
Aurélie : "J’ai eu la chance de grandir à la campagne, donc l’accès à la nature était facile pour moi. Je n’avais qu’à pousser la porte pour y être et mes parents ont favorisé ça en limitant mon temps sur les écrans par exemple, alors j’ai passé beaucoup de temps dehors.
En permaculture humaine*, j’ai fait un questionnaire pour se connaître, connaître ses besoins, quel est ton profil et ça posait plein de questions sur comment tu te comportais quand tu étais enfant. Et, en faite, j’adorais juste aller jouer pieds nu dehors à des jeux normaux : je sortais mes poupées ou j’allais lire mes livres allongée sous un arbre. Juste être dehors c’était cool pour moi.
Ce truc-là, d’être dehors, il revenait à chaque fois. Je me souviens très bien quand j’ai révisé mon BAC de français, j’étais en première. C’était la première fois que mes parents me laissaient plusieurs jours toute seule à la maison pour réviser, sachant que j’étais très studieuse. C’est comme si j’étais à la plage. J’avais sorti toutes mes affaires dehors et des grandes couvertures. J’ai encore cette image où j’ai passé mes journée à réviser dehors allongée dans l’herbe au milieu des pâquerettes.
Donc je
pense que je me sentais bien dehors. Je savais le reconnaître mais
ça s’arrêtait là."
Leur vision de la société concernant son rapport aux vivant.e.s
Des sentiments ambivalents
D’un point de vu global Aurélie observe une société "complètement déconnectée" et "hors sol", même s'il existe des "exceptions".
Aurélie : "Pour moi un biais de la société actuelle est d’accorder une énorme importance à l’intellect. Il mérite sa place, ce n’est pas ça la question, mais il y a une sorte de focalisation sur une ultra intellectualisation de tout et qui nous déconnecte complètement de notre sensibilité.
Pour moi c’est justement cette sensibilité qui résonne avec la nature autour de nous et c’est ce qui la rend vivante à nos yeux et dans notre corps.
Si non c’est juste un théâtre autour de nous, des choses qui sont posées là et du coup on a le droit de faire ce qu’on veut vu que c’est comme ça.
Et pour moi ce biais participe énormément à notre vision global.
Alors parallèlement il y a plein de mouvements qui sont en train de se mettre en route, mais peut être que, ayant le nez dedans, on les voit beaucoup plus mais je pense que ça reste assez marginal aujourd’hui. J’espère qu’on y tendra, on œuvre pour ça même si ça reste marginal."
Elle est plutôt pessimiste sur le futur de notre société au vu de ce qui se passe aujourd’hui.
Aurélie : "Malheureusement je ne suis pas de nature très optimiste à la base, et je pense qu’on va se prendre quelques murs avant de changer vraiment. On a tendance à faire des trucs de façade, à changer deux trois bricoles et ça ne veut pas dire qu’il n’y a personne qui fait rien, il y a plein de monde qui essaient de faire des trucs chouettes.
Mais globalement, à grosse échelle, on est aujourd’hui dans une société de possession financière. Tout tourne autour de ça, et ceux qui tirent les plus grosses ficelles sont complètement pas dans cet esprit de respect du vivant et de respect de tout ce qui se passe autour d’eux. Donc ça n’aide pas à faire évoluer la société.
Chaque action individuelle compte, c’est évident. Je sais bien qu’à partir d’un certains seuil, au niveau sociétal, ça fait des bascules, mais j’ai de la peine à concevoir la bascule aujourd’hui. Je ne la vois pas trop.
Mais ça ne veut pas dire qu’il ne faut rien faire, bien au contraire. Mais globalement, pour moi, ça reste quand même quelque chose de difficilement accessible et je pense aussi que l’être humain est ainsi fait, qu’il a besoin de se prendre des murs des fois pour réagir.
Je suis pas trop inquiète pour la nature. Elle s’en sortira très bien, après nous avoir un petit peu éradiqué, ça ira beaucoup mieux. Mais pour l’être humain malheureusement... je pense que ce serait beaucoup plus doux et agréable si on changeait maintenant."
Quand à Juliette, elle préfère se concentrer sur ce qui se fait au niveau local pour rester optimiste.
Juliette : "Je suis quelqu’un de très optimiste. Je vois que, à ma petite échelle, de plus en plus de monde s’intéresse au vivant. Des gens comme toi, il y en a de plus en plus qui viennent nous rencontrer pour savoir comment on a fait et moi ça me réjouit, c’est ça que je vois. Que cet intérêt, ce besoin de respecter se développe de plus en plus. Donc c’est cool et j’essaie de voir ce côté là.
Le reste c’est trop déprimant pour que je m’y intéresse et pour que je regarde, je suis trop sensible pour aller voir ce qui ne va pas. Parce que c’est trop grave.
Donc je resterais sur ce qui se passe et ce qu’on arrive à créer ici, et qu’il y en a de plus en plus et ça va dans le bon sens. Une partie du monde va dans le bon sens et puis on va espérer que ça continue comme ça."
Un idéal de société basé sur la permaculture et le respect
L'idéal de société d'Aurélie est inspiré de la formation qu'elle a suivi à la ferme du Bec Hellouin ainsi que du livre co-écrit par les créateur.rice.s de la ferme Perrine et Charle HERVE-GRUYER : "Permaculture : Guérir la terre nourrir les Hommes".
Aurélie : "A la fin du livre, ils décrivent les principes permacoles que l’on peut mettre en place sur un lieu, une vision qui pourrait être extrapolée à la société globale.
J’ai ce schéma de petits îlots, de groupements humains qui s’organisent à petite échelle comme une espèce de toile d’araignée autour d’îlots de vie. Toutes ces toiles d’araignée s’interconnectent, mais tu gardes les pôles de compétences. Tu gardes vraiment les pôles autour de toi, sur des petits territoires.
Ce qui t’amène à te recentrer sur ce qui se passe, ici et maintenant, à ne pas t’éparpiller ni dans le temps ni dans l’espace, à ne pas dépenser une énergie folle tout le temps pour aller à droite à gauche et valoriser ce qui est là. Que ça soit dans les êtres vivants, les êtres humains tout autour de toi, apprendre à en avoir conscience, à le reconnaître puis à mettre tout ça en relation pour que ça soit plus efficace.
Et ça, ça me parle plus.
Alors là on y est pas c’est pareil et puis quand je vois la différence entre aujourd'hui et ça, ça me paraît très très loin mais je me dit que là il y a un truc à creuser dans ce sens-là."
Dans l'idéal de société de Juliette on y retrouve les valeurs qu'elle veut incarner au quotidien.
Juliette : "Une société qui respecte le vivant et qui vit avec ce dont il a seulement besoin et pas plus.
Une société où les besoins de chacun sont revus pour correspondre plus à ce que la planète est capable de nous donner et que ça s’équilibre. Que ce qu’on lui prend soit ce qu’elle est capable de donner et pas plus.
Une société qui s’équilibre un peu plus, où on prend moins à la nature, à la terre, au vivant et en respectant plus les besoins de tout le monde.
Ecouter les besoins de tout être vivant autour de soi. Essayer de dealer avec tout ça en se respectant soi et en respectant les autres."
Conclusion
Le woofing au jardin des Kamis est un woofing que j’attendais avec impatience. Car, durant ce périple, j’avais vraiment envie de découvrir un monde de sorcière et aller à la rencontre de plantes médicinales.
J’y ai découvert bien plus que ça. Une famille, de la douceur, de la bienveillance. Beaucoup de sincérité, notamment lors des interviews.
Lorsque je suis arrivée au jardin des Kamis, j'ai été accueillie avec un petit livret où les woofeur.euse.s écrivent des mots/conseils pour les prochain.e.s personnes qui arriveront sur le lieu. À l’intérieur on retrouve les 5 piliers fondamentaux, "d’égale importance" et "indissociables", qui ont participé à la naissance du jardin des kamis : harmonie, émerveillement, respect, résilience et coopération.
Valeurs que j’ai pu observer durant mes trois semaines de woofing et totalement incarnées par la famille.
Ce woofing m’a fait penser à une image qu’aimait nous donner Isabelle pendant ma formation éco-facilitation : si on prenait chaque personne comme un diamant à polir et non comme un vase à remplir, on pourrait révéler le don de chaque personne.
C’est ce que Juliette et Aurélie essaie de faire : mettre en valeur le don de chaque personne durant le woofing. Et je les remercie pour ça.
Je repars plus sereine sur le rapport que j’ai aux plantes et sur le fait de prendre le temps d’aller à leur rencontre.
Un grand merci à Juliette et Aurélie de m’avoir accueillie durant ce woofing, ainsi qu’à l’ensemble des êtres vivant.e.s pour leur gentillesse.
Eva FOURCADE - 6 août 2023
Définitions
- Permaculture humaine : Méthode de développement personnel qui vise à reconnecter l'humain.e à soi, à son environnement et aux autres êtres vivant.e.s, basée sur les principes de la permaculture.